Mardi 3 août 2010 à 22:51

J'attends. J'attends quoi ? J'attends que tout passe. Le temps, les peurs, le désir, les gens. La vie, quoi. Mais ça ne passera pas comme ça, non. Il faut que je fasse quelque chose, pour vivre mieux. J'ai eu envie d'écrire à nouveau, hier soir, en retombant sur des textes, plus ou moins vieux. Certains dont je ne me souvenais que vaguement le contenu. Y avait des trucs pas si mal. Mais je suis tellement centrée sur moi-même quand j'angoisse, que je n'arrive pas à écrire autre chose. Et je n'ai pas envie d'écrire sur mes peurs. C'est trop bizarre, malsain. Je n'ai pas le recul nécessaire. Écrire des histoires d'amour ? C'est niais, si niais, je n'en suis pas capable, pas sans tomber dans le ridicule. Et je ne sais pas ce qu'il y a d'autre à raconter, c'est triste. La vie tourne autour de l'amour et du désir, non ? Alors à quoi bon écrire autre chose ? Et comment ne pas tourner en rond, avec ce genre de thèmes ? C'est pitoyable, je suis pitoyable. Je me morfonds et ma tête finira par exploser.

Il y avait ce début d'histoire :

« Elle s’appelait Laura. Elle habitait au deuxième étage de l’immeuble. La première fois que je lui avais adressé la parole, elle m’avait regardée sans sourire et n’avait rien répondu. Pourtant, ce n’était qu’un simple « bonjour ». En aucun cas je n’avais voulu lui faire peur. D’ailleurs, je ne pense pas qu’elle ait été effrayée. Mais j’avais été étonnée, un peu vexée même, qu’elle semble m’ignorer. On ne se connaissait pas, non. Alors pourquoi aurait-elle dû répondre à mon salut ? Question de principe. Notre première rencontre fut donc quelque peu froide et mentalement, j’avais pesté contre ces gens qui ne connaissaient pas la politesse. Si j’avais su…

Laura était sourde et muette. C’est de ma mère que je l’avais appris. Indirectement, pour tout dire. Elle parlait avec ma tante. De nos nouveaux voisins, ceux qui étaient arrivés il y avait à peine quelques semaines. Le père qui semblait n’être jamais là, la mère qui restait constamment chez elle, sans sortir. Et la fille, qui paraissait avoir mon âge. Celle qui n’entendait rien et ne pouvait pas parler. J’ignore comment ma mère l’avait su mais j’avais été – bêtement – soulagée de savoir que cette fille n’avait rien contre moi.

Le matin, elle partait après moi. J’en étais certaine car c’était un jour où j’étais en retard, que je l’avais croisée pour la première fois dans les escaliers. Nous habitions au quatrième étage et je courais, pour attraper mon bus que j’allais une nouvelle fois manquer. Son visage m’était inconnu, et alors que je dévalais les marches à toute vitesse et sans la moindre discrétion, elle se tenait à la rampe et descendait en prenant son temps. Elle ne m’avait pas entendue. Je l’avais légèrement bousculée, à peine remarquée et tout de même saluée, sans obtenir la moindre réponse.

Lorsque j’ai découvert sa particularité, j’ai fait semblant d’être malade. C’était idiot, mais j’avais seize ans et j’étais curieuse. Une fois ma mère partie, je m’étais habillée en vitesse et j’étais allée chercher le courrier. Je traînais devant les boites aux lettres, espérant que Laura sortirait à l’heure à laquelle je l’avais vue. Pourquoi m’étais-je mis cette idée en tête, cette idée de la revoir ? Je ne sais pas. Sans doute parce que je ne mesurais pas les conséquences que pouvait avoir cet acte. Pas encore. Je voulais seulement la découvrir. Peut-être par voyeurisme. Qui était-elle ? Son handicap m’attirait. Je voulais en savoir plus et, sans me l’avouer, je la considérais sans doute comme un phénomène, la réduisait à sa surdité et son mutisme. Elle était passée derrière moi, toujours en prenant son temps. J’allais découvrir plus tard que c’était l’une de ses principales caractéristiques. Chaque chose avait pour elle son importance, et elle ne voulait rien manquer. Simplement, je lui avais souri. Elle m’avait imitée, j’avais ressenti au fond de moi une chaleur comme celle que vous procurent les inconnus dans la rue, lorsqu’ils vous saluent d’un signe de tête.

Plusieurs fois, j’ai recommencé ce petit manège. Ridicule. Ma mère ne voyait rien. Parfois, je lui disais que je commençais une heure plus tard, parfois je partais vers l’arrêt de bus, attendait qu’elle s’en aille puis retournait, inlassablement, chercher le courrier. Pour voir Laura. Son sourire aux dents blanches. Jusqu’ici, je n’avais jamais été attirée par les filles. Je ne suis pas sûre non plus d’avoir réellement été attirée par Laura. Mais je crois que son mystère me plaisait. C’est ce qui la rendait unique.

Un jour, j’ai décidé de lui parler. Je me suis renseignée sur la langue des signes. J’ai appris à dire « bonjour ». Lorsqu’elle est passée près de moi, je lui ai doucement tapé sur l’épaule. Elle s’est retournée, un peu surprise. Je lui ai fait mon « bonjour », répété depuis trois jours : la main qui part du menton et descend, paume vers l’extérieur. Elle m’a fixé, un peu étrangement, sourcils légèrement froncés, comme si elle ne comprenait pas ce que je voulais lui signifier. Finalement, elle a de nouveau souri. Elle souriait beaucoup, Laura. Elle a souri et m’a rendu mon geste. Puis elle est sortie. Je ne savais qu’en penser. Devait-on en rester là ? A se saluer tous les matins sans échanger autre chose que des regards et des plissements de bouche ? Devais-je courir derrière elle pour lui dire quelque chose ? Absurde. Alors je suis partie, j’ai raté mon bus et j’ai été collée.

Je ne savais pas comment continuer. Je n’étais même pas vraiment consciente de ce que je faisais, en réalité. J’avais peu d’amis. Peut-être cherchais-je inconsciemment à combler ce manque. Je sentais que Laura avait quelque chose. Et je m’accrochais à cette idée. C’était idiot, je passais de plus en plus de temps à penser à elle. L-A-U-R-A. J’avais appris à dessiner son prénom dans les airs, lettre par lettre. Je tombais amoureuse ? Sans doute. Je tombais très facilement amoureuse. Des garçons. C’était la première fois que j’étais séduite par une fille. Mais je n’ai jamais réussi à définir clairement mes sentiments. Alors je n’ai rien fait. Un matin, je suis sortie de chez moi, à l’heure, pour une fois. Elle m’attendait près des boîtes aux lettres. Elle m’a tendu quelque chose, un morceau de papier. Et elle s’est évaporée dans le brouillard qui recouvrait la ville ce jour-là. J’ai déplié ce qu’elle m’avait donné. C’était un mot.

Enchantée.

Simplement. J’ai souri. Je trouvais ça… étonnant. Et totalement charmant. Le meilleur, c’est que j’ai eu mon bus. Dans la journée, j’ai réfléchi. Que pouvais-je répondre à ce simple adjectif ? La seule formule qui m’est venue à l’esprit m’a semblé banale. C’est pourtant ce que je lui ai glissé dans la main, le lendemain.

Moi de même.

Et toujours, le sourire. Chacune. Malgré le fait qu’elle ne pouvait pas s’exprimer oralement, Laura semblait intelligente et heureuse de vivre. Le rituel se poursuivit, chaque matin, l’une donnait à l’autre un papier, plié en deux ou en quatre, avec rarement plus d’une phrase. Elle et moi avons appris à se connaître, doucement. J’ai su pourquoi elle n’entendait ni ne parlait. A l’âge de cinq ans, elle avait été atteinte d’une méningite dont elle a gardé pour séquelle cette surdité. De là, il lui a été impossible de continuer à parler. Elle sait lire sur les lèvres si l’on articule et qu’on ne parle pas trop vite, ou que l’on ne change pas de sujet sans le lui dire. Nous avons passé plus de trois mois à ce rythme. Questions, réponses, phrases longues ou courtes, affirmatives ou négatives. Jamais nous n’avions envisagé de nous voir « en vrai », c’est-à-dire de passer ensemble plus que ces dix secondes quotidiennes. Lorsque les vacances sont arrivées, nous avons décalé l’heure mais toujours, les instants étaient furtifs. Comme si l’on ne voulait pas être vues ensemble, comme si c’était notre secret, et que nous ne voulions pas le partager. Cet échange me rendait heureuse. C’est idiot à dire, mais je me levais le matin sans rechigner, moi qui suis une paresseuse comme on n’en trouve pas deux, je me couchais en pensant à la réponse que Laura allait recevoir le lendemain ou aux mots tracés par sa main fine, des mots aux courbes légères que j’allais lire. Son écriture me fascinait. N’importe qui aurait pu avoir la même, je n’y aurais pas prêté attention. Penchée, des lettres bien formées, elle s’appliquait, mais pas à outrance. L’écriture de Laura reste le souvenir le plus présent que j’ai d’elle.

Le dernier message d’elle avait été :

J’ai envie de te parler. Demain, ici ?

J’avais accepté. J’avais eu peur, pourtant, peur de ce contact direct. »
 

Et ça s'arrêtait là. C'était il y a deux ans. Je n'ai rien corrigé. Encore un début d'histoire d'amour. Avec des clichés, sans doute.


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Par Stina le Mercredi 4 août 2010 à 4:59
C'est dommage ! J'étais à fond dans ce début d'histoire :D
Si tu veux écrire à nouveau, il ne faut surtout pas renoncer à cette envie ! Puis même une idée ou une histoire qui paraît niaise peut donner de grandes choses. A toi de la façonner par la suite. Dans ce cas là, rien n'est irréversible. C'est génial l'imagination, non ? :)
Par JellyK57 le Mercredi 4 août 2010 à 9:46
Je suis comme Stina, dégoûtée de ne pas pouvoir lire la fin. Très bon début d'histoire en tous les cas.
Par ClaraChocolat le Mercredi 4 août 2010 à 19:17
Ca me fait sourire, ce texte, après mes élucubrations d'hier soir sur l'écriture. Et je le trouve génial. Contrairement aux deux commentaires précédents, je ne trouve pas ça gênant, l'absence de suite. J'aime l'idée d'une écriture en suspend. Je me serais même arrêtée à "Demain, ici?" Et puis je trouve ça chouette, tu mets en place une rencontre (que tu racontes à merveille) originale et la suite n'est pas forcément nécessaire, chacun peut l'imaginer. Anyway, je trouve ça coule de se centrer sur la rencontre.

J'adhère totalement à l'idée des petits mots échangés, la supériorité de l'écriture sur la parole. Il y a peut-être quelques clichés, mais comment parler d'amour sans passer par là ? :)

Et en plus, ça me fait penser à un livre que j'aimais beaucoup. Coup de foudre, je crois. Un garçon qui tombait amoureux d'une fille handicapée.

Voila. J'aime quoi.
Par Demoiselle-Coquelicote le Jeudi 5 août 2010 à 19:20
L'amour est sûrement le plus vieux cliché de l'histoire, et pourtant nous le ressentons tous et le voulons tous. Alors pourquoi se priver d'écrire à ce propos ? Si certaines personnes trouvent ça niais, tant pis, moi j'apprécie toujours. C'est l'une des plus belles choses chez l'être humain. Et puis, si ça te fait du bien d'écrire, ne t'en prive pas. Et si ça te fait du bien de poster ce que tu écris, go go go !
C'était vachement bien en plus, j'ai tout lu d'une traite. Je devrais peut-être essayé de poster aussi mes textes. En tout cas si tu veux le continuer n'hésite pas, j'adhère ;)
Par monochrome.dream le Jeudi 12 août 2010 à 2:54
Et tu n'as jamais écrit la suite... Pas sûre que ce soit par flemme ou quoi que ce soit de cet acabit : ce sont de bons prétextes, mais ce que je vois surtout, ici, c'est un texte qui se déploie jusqu'au moment où il butte sur une peur qui le stoppe net... Tu as écrit plus que tu ne le crois sur toi-même et sur ta peur, dans ce début d'histoire. Et le silence où elle tombe ensuite, lui aussi, parle de toi d'une certaine façon. Je pense qu'en général on se trahit beaucoup, souvent, lorqu'on écrit ; et que plus l'on essaie de se rendre opaque à soi-même, d'écrire éloigné de soi, et plus l'écriture nous échappe et nous révèle subtilement, là où l'on n'aurait jamais pensé se trouver.
 

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